01 Oct « La Vérité qui fait grandir »
Cette semaine, le rapport de la commission indépendante mandatée par l’Église catholique sur les abus sexuels commis dans l’Église en France depuis les années 1950 est rendu public.
Le rapport d’étape remis en mars dernier par son président, Jean-Marc Sauvé, laissait entendre que le nombre de cas de victimes touchées par des prêtres pédophiles en France est en réalité beaucoup plus important que ce qu’on avait pu penser au moment où la commission s’est mise en place. Autour de 10 000 cas avaient alors été recensés à partir des 6 500 témoignages reçus et d’une analyse systématique des archives des diocèses et des congrégations religieuses ayant exercé en France. Peut-être que le rapport final sera encore plus sévère.
Ça fait mal ! très mal !
C’est d’abord un vrai drame pour toutes ces victimes : les mots d’excuses ou de demande de pardon ou même les compensations financières ne pourront jamais suffire pour permettre à ces personnes, dont la vie a été souvent gâchée, de retrouver ce qu’elles ont perdu. Je reçois suffisamment de personnes en confession ou en accompagnement pour mesurer le drame que peut signifier le fait d’avoir été victime d’un pédophile dans la vie quotidienne, paralysant souvent toute capacité d’initiative ou d’ouverture vers les autres pendant des années ou des décennies.
Ce rapport interpelle tous les chrétiens, car même si nous n’avons pas de lien explicite avec la pédo-criminalité, nous sommes bien trop solidaires du péché, d’une manière générale, pour considérer que nous n’avons rien à voir avec cette réalité qui touche, bien au-delà de l’Église, des pans entiers du secteur éducatif et de nombreuses familles. A chacun d’entre nous d’entendre cette invitation profonde à lutter contre toutes les relations enfermantes (d’autoritarisme, d’emprise psychologique ou narcissique…) que nous risquons toujours d’avoir vis-à-vis des autres, et d’être attentif à faire en sorte que nos communautés paroissiales prennent tous les moyens pour qu’une telle réalité ne puisse pas se reproduire. Au nom de l’Église, comme responsable de la communauté paroissiale de Saint-Sulpice, je demande pardon à toutes les personnes qui ont souffert d’une manière ou d’une autre de ces relations enfermantes, voire criminelles, de la part de prêtres ou de chrétiens en responsabilité. Depuis dix ans, des formations systématiques ont été organisées dans les séminaires, les écoles catholiques, les diocèses, les lieux d’accueil de jeunes… Des mesures très concrètes et des règles ont été déployées pour que les jeunes ne puissent plus se retrouver seuls avec un adulte dans le cadre des activités pastorales. La parole a aussi été libérée pour que les jeunes puissent parler beaucoup plus facilement d’éventuelles difficultés relationnelles avec des adultes. Mais chacun de nous doit rester vigilant… sans pour autant que cela devienne une obsession qui empêcherait toute relation de confiance.
C’est aussi un drame pour ceux qui ont reçu la charge de gouverner l’Église et qui, pour la très grande majorité d’entre eux, cherchent honnêtement à rendre témoignage du royaume de Dieu et de la charité, qu’ils soient évêques, prêtres, diacres, laïcs en responsabilité ou encore bénévoles au service de nos institutions catholiques. C’est une invitation à nous réformer en profondeur dans notre exigence de sainteté. C’est une invitation à aborder davantage les questions de sexualité et d’équilibre psycho-affectif avec plus de vérité, plus d’écoute et plus d’exigence
La conscience accrue de la gravité de ces actes doit aussi nous amener à être moins moralisateurs et plus bienveillants dans l’accueil de ce que vivent nos contemporains dans le domaine de la vie sexuelle et affective. Personne ne peut prétendre avoir une maîtrise parfaite de sa propre vie dans ce domaine, et encore moins de la manière dont il pourrait guider une personne ou une communauté. Enfin, cette conscience doit nous préserver absolument de toute prétention à agir au nom de Dieu ou de l’Église lorsque nous risquons d’exercer une autorité abusive sur autrui.
Ce chiffre faramineux des victimes de prêtres pédophiles ne doit pourtant pas cacher le service énorme d’écoute et d’aide aux personnes apporté par la très grande majorité des prêtres dans un ministère souvent discret et généreux. La plupart des prêtres ont été confrontés à la pédophilie, non pas parce qu’ils auraient abusé des personnes, mais parce qu’ils ont passé de nombreuses heures à écouter, accompagner et aider des personnes qui avaient été victimes d’actes pédophiles dans leur propre famille ou dans des structures éducatives diverses.
Ce rapport doit nous rendre attentifs, mais non pas suspicieux, car nous nous priverions d’une très grande richesse s’il n’y avait plus un climat de confiance entre les paroissiens et leurs prêtres. Osons simplement parler, poser nos questions, faire part de nos difficultés relationnelles, mais aussi de nos joies et des richesses de l’accompagnement par les prêtres dans les situations difficiles que nous avons traversées.
La vérité fait mal, très mal en l’occurrence, mais elle libère.
Ce rapport d’une commission indépendante souhaitée par l’Église catholique permettra de poser des bases saines, en interne, pour mesurer la gravité des actes posés, pour demander pardon, pour prendre les mesures nécessaires et comme mémorial pour garder toujours ce point de vigilance. En externe, il pourra aussi servir d’exemple à d’autres institutions éducatives pour que le fléau de la pédocriminalité puisse être combattu, autant que cela puisse l’être, dans l’ensemble de notre société.
Henri de La Hougue