31 Oct tu aimeras le Seigneur de tout ton coeur
(Homélie du 31ème dimanche de l’année B- Mc 12, 28-34)
Après avoir expliqué aux apôtres que le Royaume de Dieu n’est pas un nouveau régime politique, mais un chemin de salut spirituel, Jésus, à la demande d’un scribe, fait le lien entre ce royaume de Dieu et le cœur de la loi juive, la Torah.
Jésus cite deux passages de la Torah, le « shema israël », la loi fondamentale de la foi juive rappelée dans le livre du Deutéronome (Dt 6,5) : « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ta pensée et de toute ta force », et il y associe, le commandement de l’amour du prochain qui se trouve dans le livre du lévitique (Lv 19,18) : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Pour bien comprendre la force de ce double commandement dans la bouche de Jésus, je veux en préciser les trois éléments principaux :
« Ecoute, le Seigneur ton Dieu est l’unique Seigneur »
Le première phrase « Écoute, le seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur » peut paraître anodine, comme une information de base sur Dieu pour signaler qu’il n’y en a pas d’autre, mais en réalité c’est bien déjà un commandement.
- Il s’agit de réaliser que Dieu est notre Seigneur, le maître de nos vies et la source de notre véritable bonheur.
- Pour cela il faut s’arrêter et se mettre à l’écoute, prendre le temps de relire notre vie à la lumière de cette question : Dieu est-il réellement le seul Seigneur dans nos vies ? Ou bien laissons nous, avant lui de nombreuses choses être prioritaires par rapport à Dieu : confort, argent, pouvoir, honneur.
- Il ne s’agit pas de la part de Jésus d’un commandement moralisateur ou culpabilisateur, pour réfréner nos désirs terrestres, mais d’une invitation à faire en sorte que ces biens terrestres soient au service du bien commun. Tant mieux si quelqu’un désire prendre des responsabilités, tant mieux si quelqu’un a le don de dirigier, tant mieux si quelqu’un a de l’argent et sait le faire fructifier, mais à condition que ce ne soit pas pour son unique profit, mais pour faire le bien autour de lui. Pour cela, il faut mettre Dieu en premier : Seigneur que veux-tu que je fasse de tous ces dons ?
- C’est une insistance commune entre le judaïsme, le christianisme et l’islam, elle est constamment rappelée dans le judaïsme et dans l’islam, parfois un peu oubliée dans le christianisme du fait de l’insistance sur la Trinité. Elle est pourtant essentielle.
«Tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ta pensée et de toute ta force»
Mettre le Seigneur à la première place dans sa vie est toujours le fruit d’un combat spirituel. D’où l’insistance suivante : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ta pensée et de toute ta force ». Aimer ce n’est pas seulement une attitude passive qui consiste à se laisser envahir par un sentiment amoureux
C’est un engagement plus profond, qui est ici exprimé par quatre éléments : le cœur, l’âme et l’esprit et la force
- Le cœur (kardia), dans l’évangile, c’est le siège de la volonté et des projets… Aimer Dieu de tout son cœur, c’est avoir la disposition intérieure pour accueillir et aimer Dieu (C’est à ce titre qu’on parle dans la bible du cœur ouvert, d’un cœur de chair, par opposition au cœur endurci et au cœur de pierre)
- L’âme (psuchè), dans l’évangile, c’est le siège des désirs, du caractère et de la personnalité. Aimer Dieu de toute son âme, c’est s’engager de toute sa personne en engageant ses désirs.
- L’esprit (dianoia) dans l’évangile, c’est ce qui passe par l’intelligence : aimer Dieu de tout son esprit, c’est chercher à comprendre Dieu et son plan d’amour pour les hommes.
- La force (ischus), dans l’évangile, ce sont toutes les capacités physiques et psychologiques que l’on engage pour aimer Dieu : prendre sur soi, faire des efforts, par ex. pour se lever plus tôt le dimanche et aller à la messe…
Aimer Dieu ce n’est pas seulement un sentiment que l’on ressent, mais c’est aussi un choix : c’est choisir d’intégrer la relation avec Dieu comme source bienfaisante de vie en engageant sa volonté, son être profond, son intelligence et ses forces vives.
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même »
Le lien que Jésus fait entre cet amour de Dieu et l’amour du prochain nous garde de tout idéalisme ou de tout fondamentalisme dans la foi. Il n’y a pas de véritable amour de Dieu sans amour du prochain et il n’y a pas de véritable amour du prochain sans amour de Dieu. Il y a un lien indissociable entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain.
- L’amour du prochain est le lieu de vérification de l’amour de Dieu. Celui qui dit « j’aime Dieu » alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur, dit Jean (1 Jn 4,20). Celui qui pense être un grand mystique, mais qui ne supporte pas de passer du temps avec ses frères et sœurs ne peut pas prétendre être fidèle au Christ. Celui qui profiterait de sa situation religieuse pour exercer une autorité abusive sur des fidèles deviendrait une source de scandale pour toute la communauté.
- Inversement, c’est vrai qu’on n’a pas besoin d’être pratiquant pour aimer les autres, mais je pense que l’amour du prochain, pour se déployer au maximum, comme un don mutuel exercé de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force, a vraiment besoin d’être enraciné en Dieu.
Le scribe voit aussi dans ce double commandement le moteur de toute l’action liturgique : offrir des holocaustes ou des sacrifices n’a aucun sens, si ce n’est pas en lien avec ces deux commandements. A nous qui venons à la messe régulièrement, il nous est toujours bon de voir comment notre pratique sacramentelle se nourrit de cet amour de Dieu et du prochain et inversement comment elle nous pousse à aimer encore davantage Dieu et le prochain.