20 Nov Le signe humble du Christ-Roi
Après la royauté de David et la période faste de la construction du temple de Jérusalem sous Salomon, le peuple d’Israël a pensé que cette abondance était la récompense et le fruit de son élection comme peuple de Dieu. La réussite politique et militaire de ce petit peuple face aux grandes nations environnantes était un signe et un appel pour toutes les nations : le Dieu d’Israël est le Dieu qui donne la victoire. Toutes les nations viendront progressivement vers Jérusalem et se convertiront.
Pourtant, quelques siècles plus tard, la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor II en 587 et les 70 années d’exil à Babylone qui ont suivi, ont complètement modifié cette vision de l’élection. Si le peuple était toujours le peuple élu qui devait fédérer toutes les autres nations autour du Dieu unique, alors qu’il était réduit à la plus grande des pauvretés, humilié aux yeux des autres nations (cf. PS 137, le psaume des exilés de Babylone), c’est que son élection devait être signe d’autre chose.
Le signe donné au monde par le peuple d’Israël n’était plus celui de la force et de la grandeur mais, celui de la miséricorde de Dieu qui, malgré le péché d’orgueil et d’autosuffisance de son peuple, ne l’a pas oublié (cf. Is 49), lui a permis de rebâtir un temple, de retrouver une vie religieuse et a suscité en son sein le Messie qui apporte le salut au monde.
L’Église à son tour doit être signe pour le monde. Elle est “dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain” nous dit la constitution Lumen Gentium du Concile Vatican II.
Mais de quoi est-elle signe aujourd’hui ? Comme le peuple d’Israël, elle a espéré pendant plusieurs siècles pouvoir témoigner au monde de sa capacité à savoir générer une chrétienté qui deviendrait le modèle de toute civilisation… Dans un contexte laïc de plus en plus prononcé, elle a aspiré à être une référence absolue dans le domaine de la foi et des mœurs.
Et voici que les scandales de mœurs touchant des fondateurs de communauté, des évêques et des prêtres se sont succédés avec, comme point culminant en France, le rapport accablant de la CIASE, qui met en évidence la responsabilité institutionnelle de l’Église et la dimension systémique des violences commises.
Alors l’Église peut-elle être encore un signe crédible de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain ?
Eh bien, paradoxalement, je pense que oui. Car en acceptant de reconnaître sa responsabilité et la dimension systémique des violences perpétrées en son sein, en prenant le temps de demander pardon et de se mettre vraiment à l’écoute des victimes, en acceptant de se laisser réformer dans la durée… l’Église se retrouve en quelque sorte dans la situation des juifs de Babylone, acculés à devenir signe de la miséricorde de Dieu qui n’abandonne pas son peuple malgré son indignité et sa faiblesse.
Si l’Église dans sa manière de fonctionner et à travers l’ensemble de ses membres, apprend à devenir authentiquement humble, reconnaissant qu’elle ne peut plus donner de conseils de haut, mais qu’elle doit cheminer, au même rang que les pécheurs qui la composent, elle commence à parler à nouveau au monde. Elle peut dire simplement au monde : « j’étais faible et pécheur et le Seigneur m’a proposé le salut !” Son message, qui sera un témoignage de conversion, va redevenir audible pour des personnes qui en ont besoin.
Le signe qu’elle donnera est beaucoup plus humble et beaucoup plus coûteux puisqu’elle donne à voir ses faiblesses. Il est aussi beaucoup plus lent à se réaliser et peut-être moins accessible à ceux qui sont à la recherche de la gloire et de la puissance ou de solutions toutes faites. Mais n’est-ce pas le signe dont le monde a le plus besoin, celui d’une Église solidaire qui chemine humblement au milieu de son peuple et donne une raison de croire et d’espérer ?
Ce signe ne rejoint-il pas le signe que nous donne le Christ en cette fête du Christ-Roi de l’univers ?
Le Christ nous est présenté comme roi au moment où il est livré par Pilate aux hommes pour qu’ils le crucifient… faible, petit, insignifiant aux yeux des hommes. Pourtant, par son humble obéissance au Père, par sa solidarité inouïe avec les hommes pécheurs (ceux-là mêmes qui le mettent à mort) et par son désir de les accompagner jusqu’au bout dans leur condition humaine, il va apporter le salut au monde.
Henri de La Hougue