11 Mar La rencontre du 5 mars : « Donner un sens à sa vie ? à la vie ? »
Après la question du bonheur, celle du sens de l’existence a été abordée, lors de la deuxième Rencontres. L’une et l’autre sont liées. Ne sait-on pas qu’une vie dépourvue de sens est une vie malheureuse ? A l’inverse, donner un sens à sa vie, c’est trouver sinon le bonheur, du moins de bonnes raisons d’y parvenir. La question du sens est cependant plus ambigüe, ou plus mystérieuse qu’il n’y paraît. Il suffit, pour l’entrevoir, de se demander ce que veut dire, en fait, que l’existence ait du sens, en commençant par interroger la signification elle-même du mot « sens ». Sa richesse est aussi sa difficulté. Elle s’étend de la faculté de connaître la réalité par la vue, l’ouïe, le toucher, le goût, l’odorat, les fameux cinq sens, jusqu’à l’activité en nous de l’intelligence qui donne signification aux choses et aux événements, les juge et les interprète sans cesse. Est-il une conscience du monde qui ne soit d’emblée ressaisie dans nos esprits, filtrée par le sens que nous lui trouvons ? Mieux, cette activité de la conscience partage encore en deux la signification du mot : “donner un sens” c’est en effet d’un côté donner une signification, mais de l’autre c’est seulement montrer une direction, indiquer. Le langage, si ferme, si précis soit-il, n’épuise jamais ce qu’il veut dire. L’existence se dérobe toujours à nos tentatives d’en maîtriser le sens, et c’est pourquoi, inlassablement, nous le cherchons.
Au 20e siècle, les philosophies telles que l’existentialisme ont insisté sur la distance entre la réalité et sa prise en charge possible par l’esprit humain, parfois jusqu’à mettre en avant l’absurdité de la vie. La foi religieuse est apparue comme donnant du sens mais à bon compte, sans que cela puisse convaincre ceux que la vie éprouve et que la mort angoisse. Aujourd’hui, les opinions se partagent entre l’idée d’un grand relativisme (le sens de l’existence serait purement subjectif et donc très relatif), et la nécessité de revenir à une conception fixe, objective, englobante, et donc unique, de la vérité et du sens.
Refusant cette alternative, la foi chrétienne permet au contraire de reconsidérer autrement cette obsédante question que posait déjà, à la fin du 19e siècle, le grand philosophe Maurice Blondel, au commencement de son maître-ouvrage l’“Action” : « Oui ou non la vie humaine a-t-elle un sens, et l’homme une destinée ? ». Croire en Dieu, tel que l’Évangile le propose à travers le Christ qui le révèle, n’est sûrement pas répondre intellectuellement à cette question. Le Christ n’est pas venu sécuriser nos esprits avec des idées, avec des réponses définitives. Il est venu bien plutôt nous appeler à convertir progressivement nos inquiétudes, en nous montrant un chemin de questionnement davantage ajusté au mystère ouvert qu’est notre présence dans le monde. Pour un chrétien, celui-ci est fondamentalement un don de la bonté, un don qui implique nos libertés et notre responsabilité. A ce don, il s’agit de répondre non de manière extérieure par nos intelligences seules, mais par tout ce que nous sommes : sensibilité, compassion, action, doutes et raison qui vont ensemble. Alors le sens n’apparaît plus comme une réponse univoque à prendre ou à laisser, mais comme la prise au sérieux résolue et confiante d’une existence à multiples visages, dont le secret tient au fait que Dieu s’est donné lui-même. La vie est faite d’inconnues, parfois d’obstacles mais aussi de joies. Il nous faut sans cesse réapprendre à lui répondre, en réécoutant à l’intime de nous-même le don qu’elle nous fait. Tel est bien son sens. Il n’est pas donné une fois pour toutes. Comme le bonheur, il se construit au fil du temps, au gré des épreuves, en affrontant avec confiance la « crise » qu’est l’existence, si l’on entend dans le mot « crise », précisément, l’épreuve de vérité qui nous presse de répondre : oui ou non sommes-nous déjà défaits, déjà perdus, ou déjà vainqueurs ?