10 Avr En ce temps là, à la porte du ciel… (Homélie Vigile 2023)
Soudain, dans un fracas semblable à un tremblement de terre, elle s’effondra. Le nuage de poussière que sa chute produisit se dissipa en un instant, sous l’effet d’une lumière fulgurante et pénétrante à la fois. Dans l’obscurité, la foule restait bouche bée, incapable de parler, prise de stupeur. Les visages osaient à peine se tourner vers celui qu’on voyait apparaître là. Il était là debout, tenant en main l’instrument de sa victoire. Il venait d’entrer dans les enfers, le lieu d’attente de la résurrection, ce lieu où les justes, depuis la création du monde, espéraient être délivrés. Tous, ils étaient là, n’en croyant pas leurs yeux.
Il se dirigea d’abord vers Adam, le premier homme créé, et lui dit avec force : « Adam, lève-toi ! » « — Seigneur, c’est donc toi le nouvel Adam, toi qui es venu sauver ce que nous avions perdu, Ève et moi. Toi qui as obéi quand nous avions désobéi. Toi qui rends aux hommes ce père, notre Père des cieux, celui dont nous avons eu peur, alors qu’il nous a créés avec amour et pour l’amour. Ô bienheureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur ! ».
« Abraham, approche ! » « — Maître, je te connais, c’est toi qui as retenu mon bras et qui n’as pas voulu immoler mon fils Isaac. Le fils sacrifié sur le bois, l’unique Agneau du sacrifice, c’est toi ! »
« Moïse, viens aussi ! » « — Ô toi que j’ai vu dans le Buisson ardent, c’est toi qui, par ma main, nous as fait sortir du pays d’Égypte, et c’est toi qui aujourd’hui, Lumière dans le monde, viens nous délivrer des ombres de la mort. Je reconnais ta main, c’est celle qui a écrit la Loi sur la pierre et qui maintenant l’écrit dans les cœurs. Oui, c’est toi le Verbe de Dieu qui a dit au commencement « Que la lumière soit ! ».
« Isaïe, debout ! » « — Ô Seigneur, moi qui ai parlé de ta fidélité, moi qui ai annoncé ton Salut, tu me montres aussi ta tendresse. Prends-moi avec toi, montre-moi cette alliance nouvelle et éternelle, donne-moi un festin de viandes grasses et de vins capiteux, à moi qui ai toujours prêché ta promesse. Montre-moi ta Miséricorde, Seigneur, toi qui m’as envoyé l’annoncer »
« Ézéchiel, accours ! » « — Quel bonheur, Seigneur, de recevoir de toi un cœur nouveau, d’être vivifié par une eau pure, moi qui l’ai annoncé. Vois, Seigneur, ton peuple est comblé en cette nuit très sainte. Vois, Seigneur, par ta présence tu accomplis ce que j’avais annoncé, tu scelles en nos vies une alliance nouvelle et éternelle. Vois, Seigneur, ta lumière se répandre sur nos vies ! ».
Sur le bord du chemin, attendant le passage du Vainqueur, se tenait, dans l’ombre, une ombre. Lorsque la lumière vint à passer, l’ombre se fit plus sombre, et de l’obscurité une voix s’éleva. « Jésus de Nazareth, maintenant, je sais qui tu es ! Il y a trois ans au désert, je t’avais vu venir, tu avais déjoué mon manège… Je suis revenu hier au Golgotha. J’aurais espéré de toi un soupir, un regret. Dans mon dégoût, je n’ai vu que de l’amour et de la gratuité, je n’ai vu que de la compassion, je n’ai vu — et ces mots m’arrachent la bouche — qu’un acte de don total. » « — Satan, répondit le Seigneur, c’est inutile. Je t’ai vaincu, désormais tu n’as plus aucun pouvoir sur moi. Toi aussi tu étais fait pour la Lumière, Lucifer. » « — Lucifer n’est plus mon nom, je suis désormais le Diviseur, je ne puis supporter cette victoire, comme la bête blessée à mort, je combattrai ton nom, je le ferai tomber, je te le promets ». « — Tu es vaincu, Malin, parce que tu l’as voulu, et parce que tu as voulu te séparer de moi. Je te l’ordonne, retourne en Enfer, l’enfer éternel de ton obstination, dans l’obscurité de ta haine, plus obscure encore depuis que mon amour a triomphé ».
Le cortège arrivait au Paradis. Deux anges se tenaient là et se prosternèrent devant le Christ. « L’heure vient,Seigneur ; moment béni où vous allez ramener à la vie votre corps supplicié, faisant de lui en votre personne divine et en votre nature humaine, un corps glorieux, afin que les hommes croient en vous et en celui qui vous a envoyé ». Un autre ange s’adressa au Seigneur : « Nous avons été désignés pour annoncer aux femmes et aux disciples la nouvelle. Que devons-nous leur dire ? »
Jésus, plein de lumière, leur répondit : « — Vous direz : celui que vous avez crucifié est ressuscité. Il est la vie, il a vaincu la mort. Il vous précède en Galilée, il vous précède tous et partout, jusqu’à la fin des temps. Il est l’unique Sauveur, même de ceux qui l’ignorent. Il n’y en a pas d’autre. Il est ressuscité et il vous ressuscitera à votre tour si vous croyez et si vous changez votre vie. »
Frères et sœurs bien aimés, cela nous concerne tous, car c’est l’histoire du Salut. En fait, cette histoire nous parle de l’évènement le plus fondamental de toute notre vie… Ce n’est pas le dernier film sorti au cinéma, ni la victoire tant attendue du Paris-Saint-Germain en Ligue des Champions. La résurrection du Christ concerne notre Vie avec un grand V. Notre vie existentielle, notre vie vitale : la vie que seul Dieu peut nous donner.
Si ce soir, Augustin, Daphné et, non loin de Nancy, notre ami Evan vont être baptisés, c’est précisément pour que quelque chose change dans leur vie. La résurrection du Christ n’est pas un à-côté de la foi chrétienne. Ce n’est pas un extra-bonus. C’est le cœur, le centre de la foi, car c’est vers la vie du Christ que converge toute l’Histoire. Au cœur de notre vie doit résonner le cœur de la vie du Christ, sa résurrection, qui en est l’évènement le plus fondamental. En Jésus, la mort et le péché sont détruits pour que puisse resplendir la vie.
À vous qui allez être baptisés, et à nous qui le sommes depuis longtemps, le Christ nous offre ce soir une parole, et deux symboles pour entrer dans son mystère.
Une parole, « Soyez sans crainte ! ». La résurrection, comme victoire sur le mal et sur la mort éternelle, doit être pour chacun de nous une source de confiance. Parce que le Christ est ressuscité d’entre les morts, parce que le tombeau est vide, nous pouvons, chacun d’entre nous, vivre dans l’espérance d’entrer dans la vie. Être baptisé, c’est entendre pour soi-même la parole du Christ : « Sois sans crainte, tu as du prix à mes yeux, et je t’aime. Je fais de toi mon enfant, car je veux te donner la vie qui vient de ma résurrection ».
Ensuite, le signe de la Lumière. Au début de cette vigile, nous étions éclairés par la seule lueur de nos bougies, flammes fragiles qui pourtant ont suffi à illuminer notre immense église. Cette lumière nous vient du Christ, c’est Lui qui illumine nos vies, c’est Lui qui va illuminer vos vies, cher Augustin et chère Daphné. Ces cierges nous permettent aussi de comprendre quelque chose du mystère de l’Église que nous formons ensemble. En effet, lorsque l’on transmet la lumière de notre cierge, celle-ci ne diminue pas. Elle se partage et plus elle se partage, plus elle grandit. À l’inverse, si jamais vous prenez un cierge seul, sa flamme est fragile et frêle : au moindre coup de vent, elle risque de s’éteindre. Si maintenant vous approchez plusieurs cierges les uns des autres, non seulement la flamme grandit, mais elle se fortifie et résistera bien mieux aux vents. Et si jamais votre flamme s’éteint un autre cierge pourra à nouveau vous transmettre sa lumière.
En ce soir, nous formons une portion de l’Église illuminée dans la foi par le Christ. C’est vous, tout à l’heure, cher Augustin et chère Daphné, qui allez nous transmettre à nouveau cette lumière de la vie, que vous aurez reçue au baptême ; vous nous transmettrez et nous recevrons quelque chose de votre foi toute fraîche, toute nouvelle, pour manifester que nous vous accueillons dans notre communauté de l’Église.
Enfin, il y a le signe de l’eau. L’eau qui fait vivre et purifie. L’eau qui rafraîchit et revigore. L’eau vive coulant du côté du temple, l’eau qui jaillit du côté du Christ, l’eau vive du Salut ! Sans eau, pas de vie possible. Cette eau du baptême, frères et sœurs bien aimés, nous allons en être aspergés… joyeusement — et je vous le confesse, pour tout prêtre, cette aspersion de la foule est toujours une grande joie. Par cette aspersion, rappelons-nous notre propre baptême. Depuis le début du Carême, nous nous sommes entraînés, nous avons essayé de nous convertir pour entrer dans la même ferveur que nos catéchumènes : alors goûtons à leur joie, à ce bain de la nouvelle naissance. Recevons profondément ce que signifie cette eau baptismale : elle nous associe à la mort et à la résurrection du Christ. Elle nous plonge dans la mort avec lui — car la mer à l’époque du Christ était le lieu de tous les dangers — et nous offre ce qui est indispensable à notre vie véritable.
Ainsi donc, frères et sœurs, quelque 2000 ans plus tard, ce n’est plus Adam, Noé, Abraham, Moïse ou Ézéchiel que Jésus vient rencontrer et vient tirer de la mort. C’est nous : Louise, Martin, Henri, Hélène, Capucine, Albane, Robert, Dominique, Jean-Claude, Marie-Pierre… et c’est vous, Karim-Augustin et Daphné, qui allez être unis au Christ en sa résurrection dans quelques instants. Nous n’avons pas besoin de traverser une porte de pierre, mais d’entrer dans la foi dans ces deux symboles, la lumière et l’eau, qui nous constituent comme membres de l’Église appelés à avancer vers le Royaume de Dieu. Car la promesse de Jésus c’est bien cela : la vie et la vie en abondance. La vie et la vie que rien, pas même la mort, ne pourra nous enlever. La vie, et la vie où le Bien a triomphé définitivement de la mort. La vie et la vie éternelle.
Christ est ressuscité, Alléluia ! Il est vraiment ressuscité, Alléluia !