21 Avr Cheminer ensemble
Deux disciples faisaient route vers Emmaüs, ils parlaient ensemble de tout ce qui s’était passé. Arrive Jésus qu’ils ne reconnaissent pas d’emblée, mais à la fraction du pain. Ils réalisent à ce moment, en faisant une relecture de leur rencontre, que “leur cœur était tout brûlant, tandis qu’il leur expliquait les écritures sur le chemin” (Lc 24, 32).
Voilà “techniquement” ce qu’on pourrait appeler le premier “synode” (ce premier “cheminement ensemble”) de l’Église après la résurrection. Ce n’est pas encore l’Église dans son mode de fonctionnement habituel, puisque l’Esprit-Saint n’est pas encore descendu sur les apôtres, mais on peut y reconnaître certains éléments de notre vie chrétienne : Jésus qui est présent à nos côtés sans que nous puissions le reconnaître de manière évidente ; Jésus qui nous explique les écritures lorsque nous prenons le temps de comprendre notre vie à la lumière de sa propre vie ; Jésus que l’on reconnaît à l’Eucharistie ; l’espérance et la force qui renaît après avoir reconnu sa présence…
Chacun peut appliquer cet évangile à sa propre vie, mais on peut aussi l’appliquer à la vie de l’Église, notamment lorsque celle- ci s’interroge sur son identité et sur sa mission.
C’est ce que nous avons essayé de faire dans les groupes de lecture de “Lumen Gentium”, la constitution sur l’Église du concile Vatican II. Pour répondre à toutes les inquiétudes et questions soulevées, en 2022, dans les groupes sur le synode, nous avons relu ce texte conciliaire qui nous a permis de nous confronter, parfois pour la première fois, à une réflexion théologique plus profonde sur notre identité même de Peuple de Dieu cheminant avec le Christ dans notre monde actuel.
La conférence inaugurale du Père de Chaignon, très intéressante, a été malheureusement un peu difficile à suivre. Aussi Jérôme Alexandre, membre de notre Conseil Pastoral et enseignant aux Collège des Bernardins, nous propose-t-il un bon résumé de la réflexion des différents chapitres étudiés dans nos groupes paroissiaux. Il y a largement de quoi enrichir notre vision de l’Église. Merci à lui pour l’organisation et le suivi de toutes ces séances.
Henri de La Hougue
Lumen Gentium
Une relecture paroissiale
Pendant le temps du Carême et celui de Pâques, six groupes de paroissiens se sont réunis une fois par semaine pour lire la Constitution du Concile Vatican II sur l’Église, “Lumen Gentium”. Des extraits de cinq de ses huit chapitres ont été lus et travaillés. Cette expérience exigeante, car ce texte n’est pas facile, a été ressentie comme stimulante. Elle l’a été en premier lieu par les enseignements retirés qui peuvent être résumés ainsi :
L’Église dans laquelle nous sommes pourtant engagés et que nous vivons avec familiarité, en réalité nous est mal connue.
Le premier chapitre nous rappelle qu’elle est un mystère, ce qui veut dire qu’elle ne se comprend qu’à partir de Dieu et de son dessein (mysterion en grec) de salut sur le monde. Plus que cela, ce mystère de l’Église ne s’éclaire qu’en l’intégrant à la Trinité divine. Il est en quelque sorte son prolongement, son expression directe, ce qui signifie qu’elle est tout entière le sacrement voulu par Dieu pour la poursuite de la mission de rédemption et de sanctification du Fils et de l’Esprit saint. Cette affirmation est considérable, et l’on comprend qu’il faille du temps, de la méditation et du travail pour l’apprivoiser. Elle suffit en somme à définir l’Église. Elle est développée dans les sept chapitres qui suivent.
Au deuxième chapitre, elle est présentée comme le Peuple de Dieu, car l’Église, communauté de tous ceux que Dieu appelle, chemine sur cette terre au long de l’histoire, depuis la sortie d’Égypte sous la conduite de Moïse, jusqu’à nos jours. Un peuple est un rassemblement, une communauté d’appelés (le mot revient souvent). Ce peuple est de Dieu, parce qu’il est voulu par lui pour rassembler tous les hommes de par le monde. À l’heure de la mondialisation, la mission universelle de l’Église est rappelée avec force.
Le quatrième chapitre, après le troisième qui porte sur l’épiscopat, les prêtres et les diacres, traite des laïcs. L’importance accordée aux laïcs était surprenante à l’époque du Concile. Elle l’est moins aujourd’hui, quoique la dignité et la responsabilité des simples baptisés méritent d’être redécouvertes. Certes guidés par les pasteurs, ils n’en ont pas moins une mission propre et essentielle de présence du Christ dans le monde, dans le milieu du travail, dans l’ordre social et politique. Ils sont participants pleinement de l’annonce du Christ, surtout par leur témoignage et leur vocation à la sainteté.
La sainteté, sujet du cinquième chapitre, est aussi un thème constant dans la Constitution. On y apprend qu’elle est moins un idéal de perfection à conquérir à force d’épreuves et d’héroïsme, qu’un état déjà acquis dès le moment du baptême, et qu’il s’agit de conserver et de faire fructifier. La sainteté n’est donc pas une ambition hors de portée, mais notre bien commun. L’Église par nature est sainte, ses membres le sont aussi. Elle est sainte et pourtant faible, et même pécheresse, comme le sont les hommes y compris baptisés.
Le septième chapitre montre en effet que l’Église n’acquerra la perfection qu’au terme de son pèlerinage sur terre, quand elle sera pleinement réunie au Christ. La Constitution parle de ce devenir final en termes de communion entre l’Église de la terre et l’Église du ciel. Il s’agit bien sûr d’une unique Église, vouée en effet à se rassembler toujours davantage, et à rassembler l’humanité dans l’amour du Christ. La perspective eschatologique (ce mot désigne la finalité de l’Histoire et l’au-delà du temps) habite sans cesse l’Église. Elle est son Espérance et sa Foi, lesquelles n’ont de sens que rapportées à la Charité qui est Dieu lui-même. La charité est l’autre point d’insistance de “Lumen Gentium”. Elle est mentionnée à toutes les pages.
Le second bénéfice de cette lecture partagée durant cinq semaines est, sans aucun doute, d’avoir réveillé en chacun le sens de la communauté et l’idée que chacune de nos communautés est l’Église. Quand on lit un tel texte, on prend conscience que l’Église n’est pas l’institution à dimension humaine, dont il faudrait seulement corriger ou améliorer les usages, pour la rendre plus efficace ou plus adaptée. Elle est notre aventure collective, une aventure spirituelle décisive pour nos vies et pour le destin du monde. On ne peut que mesurer la grâce qui nous est donnée de lui appartenir, et d’en être ici et maintenant les acteurs responsables.
Jérôme Alexandre
Les pèlerins d’Emmaüs, Abraham Bloemaert, 1622, huile sur bois, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique