31 Mai Peut-on recevoir la sainte communion pour le bien et le profit des autres ?
Alors que nous célébrons la fête du “Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ”, il peut être bon d’approfondir la démarche intérieure que nous vivons lorsque nous allons communier.
En relisant le “Catéchisme chrétien pour la vie intérieure” de Jean-Jacques Olier, le curé fondateur de la paroisse, publié pour la première fois en 1656, j’ai été frappé par cette question : “Peut-on recevoir la sainte communion pour le bien et le profit des autres ?” (II, Leçon IV).
La question peut sembler un peu surprenante dans notre contexte actuel où la vie spirituelle est surtout envisagée d’un point de vue personnel et intime et où la communion est essentiellement perçue comme un sacrement permettant à chaque baptisé de vivre une rencontre personnelle avec le Christ, d’approfondir sa relation avec lui pour en recevoir une force et une énergie renouvelée.
La communion est rarement comprise, aujourd’hui, comme une œuvre de salut pour les autres. Il arrive que des personnes fassent dire des messes pour le salut des âmes du Purgatoire ou pour le bien d’autres personnes, mais j’ai très rarement entendu une personne me dire qu’elle reçoit la communion essentiellement pour le bien des autres.
Je trouve donc la question posée dans ce Catéchisme d’autant plus intéressante qu’elle n’entre pas spontanément dans le champ de réflexion habituel de notre vie chrétienne du XXIème siècle.
Pour Olier, comme il l’explique au début de son Catéchisme, la vie chrétienne consiste à laisser le Christ vivre en nous, grâce à l’Esprit Saint de telle sorte que nous soyons habités par la manière de vivre, les désirs et les sentiments du Christ, un peu à la manière de saint Paul quand il dit “ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi” (Gal 2, 20).
Or le désir profond du Christ n’était pas son propre bien sur la terre, mais le salut de toutes les personnes, pour lesquelles il était prêt à donner sa vie. En mourant sur la croix, il sauve le monde entier…
D’où la nécessité de nous poser la question : “Lorsque nous communions au Corps du Christ, nous participons sacramentellement à la Cène, au dernier repas du Christ, au sacrifice de l’Agneau pascal ; ne devons-nous pas chercher d’abord à nous unir à son œuvre de salut pour le monde, avant de chercher à en retirer un bénéfice pour nous-mêmes ?”
Dans la vie professionnelle, si je m’associe avec une personne pour monter un projet qui m’intéresse, j’en tire un double bénéfice : d’une part je connais davantage la personne et ses collaborateurs, puisque je travaille avec eux tous les jours et, d’autre part, je participe à la mise en œuvre et à la réussite du projet… et c’est essentiellement pour cela que je suis venu.
Ne faut-il pas envisager la communion au Corps et au Sang du Christ de la même manière, avec ce double bénéfice : d’une part, m’unir au Christ et le laisser s’unir à moi me permet de le connaître plus intimement, ainsi que les autres chrétiens qui s’y unissent également et, d’autre part, cette communion me permet de participer, certes modestement, mais réellement, à son projet qui est le salut de l’humanité. Si j’oublie cette seconde dimension, je risque de passer à côté de l’essentiel.
C’est dans ce sens-là que le “Catéchisme chrétien” d’Olier pose les questions suivantes : “si des personnes désirent recevoir la communion pour soulager les âmes du purgatoire ou les infirmités de leurs frères, est-ce légitime ?“ “N’est-ce pas un peu prétentieux de croire que leur communion va pouvoir agir sur toute l’Eglise ?”
Olier, comparant la communion eucharistique à des noces mystiques, rappelle le profond amour du Christ pour les âmes qui s’unissent à lui et affirme avec certitude que si une personne entre profondément en communion avec les desseins et les intentions du Christ, elle peut légitimement se savoir entendue par lui dans sa prière. Et donc, ce désir est non seulement légitime, mais elle est une belle manière de s’unir au dessein d’amour de Dieu pour le monde entier.
Il conclut par ces belles lignes : “Le cœur d’une âme qui communie est un temple, c’est un autel, c’est une image du sein de Dieu le Père ; et dans ce cœur, Jésus-Christ notre Seigneur s’offre à Dieu comme sur le Calvaire ; et continue ses mêmes sentiments et les mêmes prières qu’il faisait en mourant.”
En allant communier, nous pouvons bien sûr nous réjouir du bienfait extraordinaire de recevoir en nous la présence du Christ, mais nous pouvons aussi nous réjouir de participer avec lui, à notre mesure, au salut et au bien de ceux pour lesquels nous prions… et si un jour nous ne ressentons pas le désir d’aller à la messe pour notre propre bien spirituel, allons-y au moins pour le bien des autres.
Père Henri de La Hougue